TENUE ♣ Nul besoin de chercher pendant des heures le spot idéal. J’ai personnellement mes petites habitudes et depuis que je suis arrivée à la Kidô, quand je souhaite travailler dehors, je me pose continuellement au même endroit. Il est relativement retiré de la foule, suffisamment pour que je puisse me construire une petite bulle, mon propre cocon. Je dépose mon sac et mes nombreux bouquins empruntés à la bibliothèque, sur la pelouse fraichement tondue. La journée n’est pas encore très avancé, ce qui fait que la température, bien qu’élevée, reste encore supportable. L’abri que je me suis trouvée, sous un arbre, me permet également de me cacher des rayons du soleil. L’herbe est encore un peu humide, ce qui rafraichit ma peau. Je me penche un peu en avant pour préparer mon cocon. J’étale plusieurs livres, ouverts aux pages qui m’intéressent, les disposant tout autour de moi. Je sors de mon sac un cahier, des stylos, mon casque et mon iTouch. Avec la musique, je n’entends même plus les bruits extérieurs. Parfait.

Je tapote mon crayon sur mes lèvres, relisant mes dernières notes. Je dis toujours qu’on n’est jamais suffisamment préparé. J’aime avoir le contrôle et me préparer continuellement m’aide à me rassurer sur mes propres connaissances. En parcourant les dernières pages de mon livre, je commence à gratter le papier. Je suis tellement concentrée que je ne sens pas ce souffle sur ma nuque. Je finis par pousser un cri, lâchant stylo et cahier, en sentant quelque chose sur ma joue, croyant percevoir une voix au creux de mon oreille. Je me décale un peu sur le côté, la main sur le cœur tellement il bat vite. Mais ce n’est rien d’autre que le meilleur ami de Kaoru. Je coupe ma musique, parce qu’on m’a appris à me montrer polie en toute circonstance. Mais on peut très clairement lire sur mon visage mon agacement. Bouche fermée, sourcils froncés, yeux foudroyants, Kaien n’est très certainement pas le bien venu dans mon univers. Mais comme à son habitude, il se contrefiche des nombreux signaux hostiles que je lui envoie et s’installe en face de moi, entamant un semblant de conversation. J’abaisse mon casque, le faisant enrouler ma nuque. Je ramène mes cheveux en arrière, me penchant à nouveau pour récupérer ce que j’ai lâché des mains. Je n’ai pas les mêmes ambitions que Kaoru. Je réponds simplement, un peu sèchement. Kaoru a toujours pris les études par-dessus la jambe. Pour lui, ses intérêts sont pour les amis, les fêtes et les filles. Autrement dit, rien à voir avec mes priorités. Sans rien ajouter, je fais mine de reprendre mes notes, lui faisant comprendre que je n’ai pas le temps à lui consacrer. Mais Kaien reste obstinément en face de moi. En relevant la tête, je vois bien que lui aussi est armé de livres. Des choses à rattraper ? Une technique de drague ? Ou alors tu t’ennuies ? Bien que je veuille faire de la politique mon futur environnement de travail, je ne sais toujours pas mâcher mes mots.

TENUE ♣ Kaien ne se démonte pas et s’installe tranquillement en face de moi. Ca a toujours été un peu comme ça entre nous, depuis l’époque du lycée. Même s’il est moins impulsif que Kaoru, tous les deux suivent les mêmes délires. Ils sont très certainement devenus amis pour ce même goût pour les filles et les fêtes. Je ne prends donc pas la peine de lui répondre mais mon œil est attiré par quelque chose qu’il me montre. Relevant la tête, j’aperçois un manuel sur l’économie des pays Européens. Je ne savais même pas dans quel cursus il étudiait. Malgré moi, le coin de mes lèvres se tire en un demi-sourire. C’est vrai que je me base sur des préjugés. Même si les habitudes de Kaien et de Kaoru ne m’ont pas permises de voir autre chose qu’un fêtard avec peu de cervelle. Il n’y a que les imbéciles qui ne changent pas d’avis., sous-entendu que je lui laisse une chance de me prouver que je me suis trompée sur son compte. A vrai dire, je ne connais pas grand-chose sur lui. Je ne prends pas la peine de le connaitre. C’est le meilleur ami de mon frère, c’est tout ce dont j’ai besoin de savoir. Le reste m’importe peu en fait.

Je gesticule sur ma place, cherchant une position plus confortable. En faisant attention aux personnes passant près de nous, je me rends compte que certaines étudiantes me lancent des regards surpris. Je soupire. L’une des raisons pour lesquelles je n’aime pas être en compagnie de personne comme Kaien : leur popularité. Parce que ça t’arrive de trouver des endroits paisibles ? Je veux bien lui laisser une chance, mais si je dois être embêtée par des groupies pendant que je bosse, ça ne va pas aller. Je replonge le nez dans mes manuels, grattant le papier à nouveau. Je ne connais pas d’autres façons de parler avec lui qu’agressivement. J’ai toujours eu l’habitude de l’ignorer quand il venait à la maison, lui répondre que j’avais mieux à faire que de discuter avec lui. Je fuyais systématiquement la pièce dans laquelle il était parce que je savais qu’il n’allait pas arrêter de venir me taquiner. Je ne suis pas aussi sauvage, d’habitude. Mais avec lui et sa personnalité, c’est différent. Je bute sur un problème, un concept politique que je ne comprends pas et à force de me pencher dessus, je finis par ne plus avoir les idées claires. Agacée, je me lève et sans un mot, je quitte toutes mes affaires et entre dans le bâtiment principal. La plupart des couloirs sont déserts ; les étudiants préférant bronzer dans le jardin. Je m’arrête devant une machine pour sélectionner une de mes boissons favorites. Je m’apprête à repartir quand je réalise que c’est mal élevé de revenir avec quelque chose juste pour moi. Je triture donc la pièce de monnaie que je tiens dans la main, me demandant quoi choisir. Un sportif ne doit pas aimer les boissons pleines de calories et de sucre. Mais apporter de l’eau … Je finis par sélectionner un jus de fruit au hasard et me penche pour me saisir de la boisson. En revenant sur mes pas, je passe derrière Kaien et lui tend la boisson, par-dessus son épaule. Tiens … Je ne savais pas quoi prendre. Alors, si tu préfères la mienne, on échange.

TENUE ♣ J'acquiesce simplement avant de m'installer de nouveau à ma place. Je n'ai rien pris de particulièrement spéciale pourtant. Mais je suis contente de ne pas avoir à partager ma boisson. Une boisson pétillante à la pomme. J'en rafolle. Ma génétique me permet d'ingurgiter n'importe quoi à n'importe quelle heure et ça me va très bien. Satisfaite, je me mets en tailleur et ouvre ma canette. Penchant la tête en arrière, je savoure la boisson qui coule dans ma gorge. Reposant la canette que je dépose à côté de moi, je reprends sur le problème qui me bloque depuis plusieurs minutes. Sauf qu'à force de demander de l'aide on n'est plus maître de ses réussites. J'avais répondu du tac au tac, sans avoir relevé la tête. A vrai dire, c'est une des maximes de mon père et la réponse de Kaien m'avait fait penser à ce que mon père nous répète souvent. Au final, j'imagine qu'à force de l'avoir entendu, j'ai fait mien ce précepte. Ce n'est pas que je refusais de demander de l'aide. Mais j'aimais essayer d'abord d'y arriver par moi-même. Alors forcément, j'en devenais presque bornée.

Le crayon continue de gratter le papier. Je suis passe à autre chose, méditant dans un coin de ma tête le problème que je n'arrive pas encore à résoudre. De temps à autre, je m'accorde une fraction de pause en sirotant le contenu de ma canette. Au bout de plusieurs minutes j'en ai marre. Je pousse mes bouquins, libérant mes jambes. Je bascule en arrière pour m'allonger sur l'herbe. Mes cheveux sont en couronne autour de ma tête. Je suis allongée de sorte à ce que Kaien me voit sur toute la longueur. Téléphone en main, je pianote, le sourire soudainement aux lèvres avant d'éclater de rire. Moana et moi n'avons rien en commun. Et pourtant, elle est l'une de me plus proches amies. Je pose mon téléphone sur mon ventre, ferme les yeux, dans l'attente de sa réponse. J'avoue avoir totalement occulté la présence du meilleur ami de me frère. Ma casquette glisse de mon crâne. Instantanément, je me mets à fredonner une chanson que j'ai entendu en vacances, l'année dernière.

TENUE ♣ Ma pause est de courte durée. Voilà que mon partenaire de travail improvisé se manifeste. Et comme à son habitude, il est toujours aussi agréable. Je fronce les sourcils, mais garde fermement les yeux clos. La pire chose à faire est de répondre à sa provocation. Comme pour lui montrer que je n’en ai rien à foutre, j’attrape mon téléphone et ouvre la conversation avec Moana. J’ai à peine le temps de déverrouiller mon téléphone que Kaien s’en saisit. Par réflexe – complètement idiot et inutile je l’accorde – je me redresse pour tenter d’attraper son bras. Mais il s’est déjà éloigné. Parce que tu penses que j’ai le temps pour ça ? Mais … Hey! C’est de la propriété privée! T’en as conscience? Mais évidemment, il ne m’écoute pas du tout. A la place, il a le nez plongé sur mon téléphone. Est-ce qu’il compte sérieusement vérifier s’il y a un garçon quelque part ? C’est d’ailleurs étrange qu’il me pose la question. La grande majorité, pour ne pas dire la totalité, du campus pense que je suis en couple avec Alexandre. Ce qui est bien entendu complètement faux. Mais ici on a l’air de considérer les amitiés mixtes comme des contes de fées.

Je me redresse tranquillement. Parce que je sais que je n’arriverais pas à récupérer mon téléphone par la force. Je me suis déjà battue trop de fois avec Kaoru et à chaque fois soldé par une défaite … de ma part. Je n’ose même pas imaginer ce que ça donnerait contre Kaien. Et puis, si je me mets à me jeter sur lui pour récupérer mon téléphone, les autres risquent de trouver ça étrange. A la question de Kaien, j’arque un sourcil. Depuis quand mes relations l’intéresse ? D’abord mes relations amoureuses – ou quoiqu’il s’imaginait en me posant la question – puis mes amitiés. C’est important ? Je m’approche, tend la main en sa direction pour lui demander de me rendre mon téléphone. Une ex à toi j’imagine ? Ca ne m’étonnerait pas. Tu es complètement son genre. Pourquoi est-ce que je dis ça avec une pointe de colère ? Devant son manque visible de coopération, je suis obligée de passer à l’action. Je saute pour récupérer mon bien, mais j’échoue lamentablement. Alors je lui agrippe le bras pour mettre de force le téléphone à ma portée. Bien sûr que Kaien a plus de force que moi, j’aurais dû le prévoir. Mais je n’ai pas anticipé sa résistance, et en tirant un peu plus pour sauter, je me viande complètement et tombe, l’entrainant dans ma chute.

TENUE ♣ Moi ? Jalouse que mon amie ait eu une quelconque relation avec cet imbécile ? Clairement non ? En tombant en arrière, j’ai le réflexe débile de m’agripper à son bras, lui griffant l’épaule. Je n’ai jamais été douée en sport pour cette raison : je suis maladroite et ne tiens effectivement pas très bien sur mes jambes. Mais sa réflexion m’agace. Je gesticule, en équilibre et maintenue uniquement par sa main, pour qu’il me lâche. Ma fierté me ferait faire n’importe quoi, même me retrouver étalée par terre devant tout le monde. Mais Kaien ne me lâche pas et d’un geste vif il me remet les deux pieds sur le sol. Enfin, à peu près. Il me remet droite tellement rapidement que j’en perds à nouveau l’équilibre et me retrouve collée contre lui, les pieds en pointe. Si lui ne semble pas gênée par la situation, moi je le suis carrément. Mes joues sont soudain brûlantes parce que nos visages sont à quelques centimètres et que tout le monde nous regarde. Mais je suis incapable de dire quoique ce soit, parce qu’il me regarde d’une curieuse façon. Ou alors, est-ce moi qui sur interprète ? Je finis par détourner le regard du sien, trop gênée. C’est sans doute ce mouvement qui le fait réaliser l’endroit et la position où nous sommes. Dès que Kaien me lâche, je prends bien soin à mettre une distance bien plus que raisonnable entre lui et moi et je détourne délibérément le regard. Un petit groupe s’était arrêté dans leur conversation pour nous observer. A tous les coups, le geste inconsidéré de Kaien va entrainer des rumeurs de gamins.

Ah bah bravo, pour toi relation amoureuse est forcément en rapport avec « se taper » quelqu’un ! Je le regarde, l’air furieuse. Je déteste quand on fait des amalgames de ce genre. Mais je ne sais pas pourquoi, ça me déçoit bizarrement de l’entendre me dire ça. Je me recoiffe, une main agitée dans les cheveux, avant de me pencher vers mes affaires que je range dans mon sac. Et je te remercie, je suis rassurée pour Moana ! Il n’y a pas de jalousie, je suis déjà très heureuse de mon côté avec quelqu’un d’autre ! Sous-entendu, avec Alexandre. Un seul regard et je lui tourne le dos. A quelques mètres, je me tape la tête avec la paume de ma main. Je ne sais pas ce qu’il m’a pris. Je n’ai pas l’habitude de jouer de ces gamineries. Je n’ai jamais défendu le fait que nous ne soyons pas ensemble mais je n’ai jamais appuyé les rumeurs. Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça. Est-ce que j’avais envie de le blesser ou de le faire chier ? Pour quelles raisons d’ailleurs ? En frottant ma tête, je me rends compte que j’ai oublié ma casquette. Mais je n’ai clairement pas envie de revenir en arrière. Ah … Mais c’était un cadeau de Shinya ! Mince. Je me stoppe, hésitante, en me mordant la lèvre inférieure.